Pourquoi « c’est pas ouf » n’est pas un vrai feedback
Cet article est dans mes brouillons depuis 2021 ! Better done than perfect, il est temps de le publier. C’est un guide pour donner un feedback éditorial constructif afin d’améliorer la qualité d’un texte. La méthodologie est basée sur ma double casquette de rédactrice et de manager. Objectif : gagner en efficacité et en professionnalisme, et limiter les allers-retours qui usent tout le monde, qu’on soit du métier ou pas.
Le pitch de départ : on vous a envoyé un contenu et vous devez faire un retour à la personne qui l’a écrit. Vous voyez des choses qui clochent mais vous ne savez pas par où commencer. Un mélange de flemme et de peur de vexer, le même qui vous pousse à procrastiner quand vous devez avoir une discussion importante.
Le feedback éditorial : fiche d’identité
Avant de commencer, qu’est-ce qu’un feedback éditorial ?
Quoi ? | Les retours qu’on fait sur un contenu |
Quand ? | Après livraison |
Pourquoi ? | Pour améliorer sa qualité et celle des suivants |
Comment ? | En repartant du brief initial, et en organisant ses retours : ➡️Fond : réponse à l’objectif et à l’angle ➡️Forme : correction des fautes, modification du style |
Où ? | ➡️En mode commentaire sur le document (Word, Google Doc) ➡️Dans un document à part ou en corps de mail ➡️En mode point + compte-rendu |
3 points pour évaluer la qualité d’un texte
Vous avez un texte sous les yeux, et il ne vous plaît pas, mais vous n’arrivez pas à expliquer pourquoi ? Après une première relecture instinctive, si on a l’impression que quelque chose cloche, il faut relire le texte en se posant 3 questions :
✅ Est-ce que le contenu répond à mon objectif et à mon angle ? ✅ Est-ce que le contenu est propre (espaces nettoyées, mise en page harmonisée, pas de coquilles qui trainent) ? ✅ Est-ce que le contenu a un style adapté ? |
Le plus souvent, le problème se cache derrière une des ces 3 questions (rarement les trois). Si vous y répondez, vous saurez ce qui cloche.
Vérification importante : est-ce que le texte répond au brief de départ ?
Les 3 premières questions vous permettent de comprendre ce qui cloche. À cela s’ajoute une autre question incontournable pour faire un vrai feedback éditorial : est-ce que le texte qu’on m’a livré répond à mon brief de départ ?
Un texte de bonne qualité est avant tout un texte qui répond à la commande. Alors la première chose à faire pour construire votre feedback est de comparer ce que l’on vous a livré à ce que vous avez demandé. D’où l’importance de fournir un brief clair et complet dès le début.
Sans brief, impossible de livrer un texte convenable, même pour une personne expérimentée ! Et dans le meilleur des mondes, le brief est complété par un tone of voice.

Parenthèse boîte à outils : le brief édito et le tone of voice
Cliquez et déroulez pour faire le point sur le brief édito
Voici ce que contient un brief édito de base :
- L’objectif du contenu : un article pour positionner un mot clé, un post LinkedIn pour annoncer le lancement d’un service…
- L’angle : la manière dont vous traitez le sujet, résumé en une phrase
- La cible : à qui vous parlez
- Format : type du contenu, fourchette de mots
- Documentation : les sources d’infos, un contact à interviewer (ou bien, si vous ne vous en chargez pas, préciser que c’est à la personne de le faire)
C’est le minimum syndical, auquel vous pouvez ajouter, en fonction des cas :
- Structure indicative
- Exemples de textes que vous aimez bien et que vous n’aimez pas
- Liens et ancres de mots clés
- Tout ce qui vous paraît utile
Cliquez et déroulez pour faire le point sur le tone of voice
Travailler avec un tone of voice (TOV), c’est comme avoir une charte graphique, mais pour les mots. Un tone of voice donne des consignes sur le style attendu, pour éviter les malentendus. Pourquoi c’est utile ? Parce qu’un même mot ne veut pas dire pareil pour tout le monde. Si vous demandez un ton créatif, vous avec une idée de ce que vous voulez, mais il est fort possible que ça ne soit pas la même idée que la personne en face, à fortiori si c’est la première fois que vous travaillez ensemble.
Un TOV utile contient (a minima) :
➡️Des adjectifs de ton (exemple : chaleureux, direct, complice) ➡️Comment orthographier le nom de l’entreprise ➡️Énonciateur/destinataire : parlez-vous à la 1ere ou 3e personne, vous adressez-vous à votre public en le tutoyant ou en le vouvoyant ? ➡️Et surtout, des exemples concrets de bonnes formulations : « do & don’t » éditoriaux |
❌ Mauvais TOV : « On veut un ton chaleureux et dynamique »
✅ Bon TOV, exemple :
Ton chaleureux et dynamique :
- Do : phrases courtes, ponctuation expressive (avec modération), s’adresser au lectorat
- Don’t : tournures trop formelles, absence de prise de parole
Do :
Phrases courtes, ponctuation expressive avec modération, langage simple et humain, adresse directe au lectorat.
« Bravo, vous avez fait le plus dur ! »
« Besoin d’un coup de main ? On est là. »
Don’t :
Tournures trop formelles, passives, impersonnelles ou sans souffle.
« Votre demande a bien été prise en compte par nos services. »
« Veuillez nous contacter pour toute information complémentaire. »Le tone of voice peut être encore plus détaillé. Voici un exemple sur les instructions à donner pour créer un ton chaleureux :
Adopter un ton chaleureux, mode d’emploi
Un ton chaleureux, c’est un ton humain qui crée de la proximité avec la lectrice ou le lecteur. C’est compatible avec le professionnalisme, mais ça l’impersonnel ou l’institutionnel.
❌ Don’t : Exemple de ton trop froid ou impersonnel
« Veuillez remplir le formulaire afin que nous puissions traiter votre demande dans les meilleurs délais. »
Pourquoi ça ne fonctionne pas :
- « Veuillez » est une tournure trop administrative.
- « Dans les meilleurs délais » est une formule qui pourrait être plus directe. Elle ne plaît pas à certaines cibles qui la trouvent trop langue de bois. A contrario, d’autres cibles l’adorent pour son côté poli : vous comprenez maintenant pourquoi c’est important de préciser sa cible dans le brief.
- Le passif rend la phrase impersonnelle.
- L’entreprise n’apparaît pas : aucun lien avec la personne qui lit.
✅ Do : Version avec ton chaleureux
« Remplissez ce formulaire, on s’occupe du reste rapidement. »
OU ENCORE : « Remplissez ce formulaire, nous vous recontactons sous 24 heures. »
Pourquoi c’est mieux :
- « Rapidement » ou « sous 24 heures » est plus concret que « dans les meilleurs délais ».
- Forme active, plus directe et engageante.
- Le « on » ou le « nous » créent un lien avec la personne qui lit.
Donner uniquement des adjectifs de ton, ce n’est pas faire un tone of voice. Imaginez une charte graphique sans couleurs ni typo, juste avec la mention « style épuré ». C’est pareil.
Étapes pour construire votre feedback éditorial
À ce stade, vous avez fait une première relecture sans prendre de notes et en vous posant des questions : vous avez un aperçu de ce qui peut être amélioré. Si quelques remarques directement sur le document ne sont pas suffisantes pour améliorer le texte, il est maintenant l’heure de construire le feedback éditorial à la manière d’un ou une content manager expérimenté·e.
1. Tout noter en vrac
Voici comment j’aime procéder pour mes relectures quand le feedback éditorial est stratégique : je copie-colle dans un bloc note tous les mots ou phrases qui attirent mon attention, dans le bon comme dans le mauvais sens, avec à chaque fois une annotation rapide.
À cette étape, aucune mise en page ni effort de formulation. Je mets toutes mes remarques en vrac : l’important est de se concentrer sur le texte et de ne pas se censurer ou se bloquer. Pour avoir testé plusieurs process de relecture, c’est la méthode la plus simple et la plus instinctive.
Pas d’outil tiers à part n’importe quel logiciel de traitement de texte, pas d’étape superflue, pas d’effort intellectuel pour mettre en forme sa pensée : toute l’attention est centrée sur le contenu et c’est ce qu’on veut.
📝Mon conseil : c’est important de ne pas se focaliser que sur ce qui cloche pour faire un bon feedback. Pensez aussi à mettre en avant ce qui vous plaît : cela donnera des repères à la personne qui rédige. |
2. Classer les remarques
Maintenant, on prend toutes ses remarques on les classe : on devrait voir apparaître des grandes thématiques. Par exemple :
- les coquilles
- les éléments qu’on a aimés (sur le fond comme sur la forme)
- les points à creuser ou les longueurs
- la répétition d’une même formule…
À ce stade on a réussi à identifier exactement ce qu’on allait mettre dans notre feedback. Et surtout, comme on a pris du temps pour classer nos remarques, on a une vue d’ensemble : tous les ingrédients sont là pour un retour clair et constructif !
3. Orienter son feedback éditorial
Félicitations : vous avez étayé votre première impression. Décidez à présent sur quoi va porter votre feedback éditorial : le fond ou la forme ? ou les deux ? Il est l’heure de bien les formuler. C’est le moment où je ressors mes manuels de la fac de lettres pour vérifier les détails de grammaire, de typo ou de conjugaison. Prenez le temps qu’il faut et suivez les conseils ci-dessous.
Vous cherchez encore ? Et si vous essayiez la scorecard édito ?
Si vous avez beaucoup de contenus à relire, ou si vous avez envie de structurer davantage votre relecture, vous pouvez créer une scorecard éditoriale. C’est une grille de notation, dans laquelle vous mettez tous les points importants à évaluer. Exemple basique, à personnaliser :
Critère | Note /5 | Commentaire court |
---|---|---|
Respect du brief | L’angle est bon mais pas exploité à fond | |
Qualité du fond | Manque d’exemples ou de données | |
Structure & fluidité | À retravailler, transitions floues | |
Style / ton | Trop formel, manque de proximité | |
Orthographe / syntaxe | Quelques fautes, rien de bloquant |
Pour aller plus loin : un article en anglais avec un template gratuit de scorecard
Le contenu du feedback éditorial : do’s et don’t
4 astuces pour faire un retour constructif
Maintenant qu’on a le fond, on passe à la forme : on va reprendre toutes nos annotations pour les reformuler de manière claire. Il est l’heure de faire appel au manager qui sommeille en vous : l’enjeu est de faire comprendre ce que vous voulez.
À cette étape, il est important de faire preuve de précision pour que la personne comprenne vos retours. Une maladresse peut facilement être source d’incompréhension, voire même générer une cascade d’échanges désagréables et inutiles. Pour éviter les quiproquos :
💡ANNONCER LE SUJET DE VOTRE FEEDBACK : au début d’une réunion, vous annoncez l’ordre du jour. Ici c’est pareil : prenez le temps d’expliquer si vos retours vont porter sur le fond ou sur la forme.
Si vous avez écrit un texte et que vous demandez une relecture à quelqu’un
N’oubliez pas de demander comment vous voulez qu’on vous relise : rien de plus frustrant d’envoyer un texte pour qu’on regarde s’il y a des coquilles, et qu’on reçoive à la place une remise en question totale du plan. Ou au contraire, de recevoir « tu as oublié la majuscule au début de cette phrase », alors que vous auriez voulu que la personne vous parle de ce qu’elle a ressenti en vous lisant.
💡TOUJOURS PARTIR DU TEXTE : chaque retour doit être illustré et s’appuyer sur un mot ou une phrase présent dans le texte.
💡DONNER DES EXEMPLES : si on souhaite des modifications, on donne des exemples de ce qu’on veut, que ce soit un exemple de reformulation d’une tournure qu’on n’aime pas ou un lien d’une source pour s’inspirer
💡RESTER EN COHERENCE : avant de faire un feedback éditorial, toujours se référer à son brief de départ. Êtes-vous en contradiction ? Si oui, précisez le par souci de transparence.
Les points à éviter dans votre feedback éditorial
Faisons appel à du management de base : ces deux conseils sont valables pour un feedback éditorial, mais ils sont aussi très utiles pour faire des feedbacks managériaux. Ce sont des techniques de communication pour exprimer clairement une attente, et éviter les frustrations des deux côtés.
Les contradictions
Demander une modification, puis faire marche arrière ou donner une consigne contraire dans un second retour, sans l’avoir anticipé dans le brief, peut vite créer des tensions.
Si vous demandez plusieurs itérations successives sans cohérence, c’est le signe qu’il faut revoir votre méthode. Ce n’est pas une question de style ou de talent de la personne en face, mais d’organisation en amont.
Le travail en aller-retour peut être constructif… à condition d’avoir été annoncé comme tel. Sinon, la personne a juste l’impression de devoir refaire le même travail deux fois. Et elle n’a pas tort !
Moralité : si votre brief est flou ou incomplet, votre feedback risque d’être instable. Et cela fait perdre du temps à toutes les parties prenantes. Prenez le temps de clarifier vos idées dès le départ : c’est un gain d’efficacité et de respect mutuel.
Les retours flous
Exemple :
« La demande a bien été prise en compte par nos services. » : cette phrase ne vous convient pas, vous aimeriez qu’elle soit plus humaine. Ne dites pas :
❌ » Le texte est trop froid «
Cette phrase n’est pas un retour constructif car vous ne donnez aucun retour concret sur ce qui pose problème, ni aucune piste pour améliorer le texte. Comment faire alors ?
Analysons la phrase qui vous a été livrée. Elle n’a aucun marqueur d’adresse : pas de tournure à la 2e personne ni d’interpellation. L’énonciateur n’apparaît pas non plus explicitement. Cela donne une impression de voix désincarnée.
Donc dites plutôt :
✅ « La phrase ne s’adresse pas au lecteur, et elle est à la 3e personne au lieu de la 1ere personne. Cela rend le ton trop froid. Peux-tu plutôt utiliser davantage de tournures qui s’adressent au lecteur comme « Merci pour votre demande, nous l’avons bien prise en compte ? «
En bref
On oublie donc de donner un feedback laconique comme « C’est pas ouf ce texte », si on a vraiment envie que le résultat soit meilleur rapidement. Donner un bon retour édito, ce n’est pas juste « corriger » un texte. C’est contribuer à une meilleure qualité éditoriale dans une logique de collaboration, pas de contrôle.
Un feedback édito efficace est :
✅ Structuré : on relit avec méthode pour vérifier son instinct, puis on classe ses remarques.
✅ Ancré dans le brief : chaque retour doit s’y référer.
✅ Concret : on part du texte, on illustre, on reformule.
✅ Respectueux : on évite les contradictions, on valorise aussi ce qui fonctionne.
Objectif : améliorer le contenu rapidement et créer une relation de confiance avec le ou la rédac !
FAQ feedback éditorial
Est ce que tu conseilles le mode relecture de Word, Google doc ou autre?
Pour des retours mineurs pourquoi pas. Mais pour retour stratégique, préférez un feedback écrit par mail ou encore mieux, une réunion avec compte-rendu.
Faut-il corriger directement le texte ou simplement faire des suggestions ?
Cela dépend du niveau d’autonomie de la personne en face et du type de retour attendu.
- Pour un·e junior, il peut être utile de corriger quelques passages pour donner des exemples concrets.
- Pour un·e pair ou un freelance expérimenté·e, mieux vaut faire des suggestions claires et bien formulées pour respecter son travail tout en lui laissant de la latitude.
Dans tous les cas, évitez les allers-retours flous : soyez précis·e sur ce que vous attendez après votre feedback.
Est-ce grave si je donne un retour « à l’instinct », sans me référer au brief ?
En faisant cela, vous risquez de donner un retour incohérent, arbitraire ou contradictoire avec vos propres attentes. Le brief est la boussole du projet éditorial : sans lui, vos remarques seront subjectives et peuvent démobiliser la personne qui écrit. Rappelez vous de toujours revenir au brief et au tone of voice pour ancrer vos retours dans des critères objectifs.
Comment faire un retour quand « je n’aime pas » mais que je ne sais pas dire pourquoi ?
Commencez par relire le texte en vous posant 3 questions clés :
- Est-ce que le fond est clair et pertinent ?
- Est-ce que la forme est fluide, sans fautes ni lourdeurs ?
- Est-ce que le ton est adapté à la cible et à l’objectif ?
En reformulant votre ressenti en critères concrets, vous pourrez exprimer un retour utile, au lieu de simplement dire « je n’aime pas », qui n’aide personne.

Crédit photo à la une : Claire Dufféal