Gender editor : fiche d’identité

Le métier de gender editor est né dans les rédactions de grands médias il y a moins de 5 ans, et est arrivé en France en 2020. Quelles sont ses missions au juste? Et plus largement, qu’est ce que ce rôle, aux enjeux éditoriaux forts, peut apporter à une politique de contenu et/ou de communication?

Gender editor : responsable aux questions de genre

Gender editor, c’est quoi?

On peut traduire le terme gender editor par « responsable aux questions de genre ». La personne qui occupe ce poste définit le traitement et la représentation des genres dans les contenus : elle veille en particulier à ce que les contenus édités ne véhiculent pas de stéréotypes liés au genre, que ce soit dans l’angle de traitement de l’information ou dans la manière de formuler le propos.

Pourquoi dans les médias?

Conscientes que le traitement de l’actualité peut véhiculer des stéréotypes et invisibiliser une partie de leur lectorat, les rédactions ont été les premières à accueillir ce nouveau métier. L’enjeu est notamment de se défaire de certains biais, le plus souvent inconscients et automatiques, en travaillant sur le fond des articles et sur leur forme. Assurer une vraie couverture des questions de genre, présenter une femme qui occupe un poste à responsabilités sans forcément commencer par son apparence physique, annoncer un féminicide autrement que par des jeux de mots douteux, veiller à la diversité des sources et des expertes et experts qu’on interroge… Il ne s’agit pas de « compter pour compter« , mais de mieux rendre compte de la réalité sociale, comme l’explique Lenaïg Bredoux, responsable aux questions de genre chez Mediapart (la première en France! on y reviendra un peu plus loin dans l’article) :

Si tout cela n’avait aucune conséquence, cela n’aurait que peu d’importance – l’idée, à Mediapart, n’est pas de compter pour compter. Simplement, en invisibilisant une partie de la population, c’est aussi une partie de ses préoccupations, de son quotidien, de ses souffrances et de la domination masculine que l’on masque. En sous-couvrant les questions de genre et d’inégalités, ce sont ces mêmes inégalités que nous, médias, contribuons à renforcer.

https://blogs.mediapart.fr/lenaig-bredoux/blog/021220/responsable-editoriale-aux-questions-de-genre-ca-sert-quoi

Et c’est quoi au juste les « questions de genre »?

Les questions de genre sont des sujets de société que l’on analyse principalement à travers le prisme de l’égalité / inégalités entre les genres :

  • Les violences sexistes et sexuelles (pédocriminalité, violences conjugales)
  • Les discriminations liées au genre et la précarité qu’elles engendrent, l’égalité femmes-hommes, que ce soit dans le milieu professionnel ou celui de la santé par exemple, mais aussi dans la cellule familiale

L’enjeu pour un média d’ouvrir un poste de gender editor est de proposer des analyses journalistiques qui dépassent le cadre d’anecdotes individuelles pour offrir une vision plus large des questions de genre, « systémique », à l’échelle des sociétés dans lesquelles on vit. Cette grille de lecture du monde va de pair avec d’autres sujets liés aux discriminations comme le racisme ou le validisme par exemple.

À chaque fois, l’idée est la même : s’attacher aux faits (documenter les inégalités, leurs causes, l’absence ou la faiblesse des politiques publiques pour y répondre ; documenter les violences et l’impunité ; documenter les nouvelles mobilisations et enquêter, aussi, sur les groupes activistes, leurs objectifs et leurs financements), et tenter de comprendre et de donner à voir les bouleversements en cours.

Plus largement, il s’agit de veiller, en lien avec l’ensemble des services, et en concertation avec les journalistes, à ce que les sujets traités dans le journal « n’oublient pas » la moitié de la population, s’emparent de leurs problématiques spécifiques, et ne les invisibilisent dans l’ensemble de la couverture.

https://blogs.mediapart.fr/lenaig-bredoux/blog/021220/responsable-editoriale-aux-questions-de-genre-ca-sert-quoi

Un rôle transversal qui dépasse le cadre de la rédaction

Le rôle de gender editor est transversal : la personne en poste interagit avec la rédaction mais aussi avec sa direction. Car pour que le traitement de l’information soit inclusif, il faut que le fonctionnement du media le soit aussi. Sensibilisation et formation des journalistes, réflexion stratégique avec les directions de rédaction : les missions sont donc autant rédactionnelles qu’éditoriales, voire pédagogiques.

La personne à ce poste participe à définir la politique de contenu du média dans lequel elle travaille, et transmet cette orientation à l’équipe journalistique. Plutôt que de parler de ligne éditoriale, on parlera de positionnement éditorial : veille et proposition d’articles, mise en place de projets éditoriaux, et surtout institution d’un volet « question de genre » dans les politiques éditoriales.

En bref, le ou la gender editor s’assure qu’on n’oublie personne sur le bord de la route que ce soit au sein du lectorat ou de la rédaction.

Les pionnières de ce métier

La première personne : Jessica Bennett au New-York Times en 2017

« A gender editor is like a regular editor, but angrier » affirme-t-elle :

Le lectorat historique du NY Times est davantage masculin que féminin. Jessica Bennett considère que l’un des enjeux de son métier est d’impliquer davantage les lectrices, pour qu’elles soient aussi nombreuses à interagir que les hommes avec le contenu du media.

En Argentine : Mariana Iglesias, Clarin, 2019

Après 23 ans passés au sein de la rédaction du media Clarin et inspirée par l’exemple de Jessica Bennett, Mariana Iglesias propose à sa direction de créer un poste de gender editor en 2018.

À Clarín, Mariana Iglesias jette parfois un coup d’œil aux articles avant leur publication et peut contribuer à certains ajustements, mais il lui est bien évidemment « impossible de tout lire avant publication ». Pour apporter le changement, la gender editor juge qu’il est plus efficace de sensibiliser ses confrères aux « inégalités qu’ils ne perçoivent pas toujours ». Sa solution : animer des ateliers avec ses collègues, leur donner des conseils au quotidien et discuter avec eux.

https://larevuedesmedias.ina.fr/gender-editor-femmes-representation-medias

Son rôle, bien loin de se limiter à de la relecture d’articles, est plus stratégique et pédagogique : la stratégie de Mariana Iglesias est d’animer des ateliers et de dialoguer énormément avec l’ensemble de ses collègues pour les sensibiliser à la manière dont ils représentent les genres.

La première en France : Lenaig Bredoux en 2020 chez Médiapart

Lenaïg Bredoux est une journaliste qui s’est d’abord spécialisée sur la question des violences sexistes et sexuelles. Entrée au journal Mediapart en 2010, elle a été nommée gender editor du media en octobre 2020. Elle voit ce poste comme une continuité :

 Elle assure que le pure player a entamé une réflexion sur la place des femmes dans la rédaction et leur représentation bien avant son affectation : « Le journal menait déjà des actions concrètes pour augmenter le temps de parole des femmes en conférence de rédaction et, de mon côté, je m’occupais de ces questions quand j’étais au service politique. Mais nous avons estimé que la situation justifiait la création d’un poste à part entière. » Comme Mariana Iglesias, de Clarin, Lénaïg Bredoux est convaincue que le niveau de conscientisation de ses collègues facilite son travail.

https://larevuedesmedias.ina.fr/gender-editor-femmes-representation-medias

On voit bien ici la transversalité du poste : le rôle de Lenaïg Bredoux va plus loin, ou commence en amont de la publication des articles, avec un engagement de la part du media pour la place des femmes salariées au sein de sa rédaction.

La suite : gender editing en entreprise?

On comprend bien l’intérêt pour les medias de se doter de gender editors, mais qu’en est-il pour les entreprises?

Dès lors que vous appliquez une politique de communication, vous avez tout intérêt à vous assurer que celle-ci ne soit pas discriminante ou ne véhicule pas de stéréotypes malgré elle. Les taches de gender editing peuvent s’opérer à plusieurs niveaux en entreprise. Si le volume de contenus que vous produisez ne nécessite pas forcément d’une personne à plein temps à ce poste, vous pouvez faire appel appel à une ou un freelance pour les taches suivantes :

  • Charte éditoriale : apprendre à nommer votre lectorat ou les personnes qui utilisent vos services et vos produits, en y pensant dès la charte éditoriale. L’accompagnement peut se faire en créant une charte éditoriale inclusive, ou en relisant une charte existante. Une fois créée, la charte éditoriale est pérenne : tous les prestataires auxquels vous ferez appel pour créer du contenu disposeront des guidelines à suivre, quel que soit votre projet.
  • Stratégie de contenus : vous voulez communiquer, vous avez une idée du support (livre blanc, campagne video, création d’un blog…) et vous souhaitez intégrer la question du genre avant l’étape de conception rédaction.
  • Conception de vos supports de communication et ou de promotion internes et externes : video, livre blanc, communiqué de presse ou même article de blog pour l’externe, offre d’emploi inclusive, présentation de résultats annuels ou prise de parole pour l’interne… une ou un gender editor freelance peut vous accompagner lors de la conception de vos documents, et vous proposer des relectures. Cet accompagnement vous permettra d’inclure l’ensemble de vos salariés dans vos communications pour mieux faire passer vos messages.

Pour aller plus loin

Revue de presse en ligne sur le métier de gender editor

https://larevuedesmedias.ina.fr/gender-editor-femmes-representation-medias

https://www.franceculture.fr/medias/gender-editor-il-ne-sagit-pas-dimposer-mais-dimpulser

https://madame.lefigaro.fr/societe/presse-gender-editors-interview-jessica-bennett-ana-requena-aguilar-new-york-times-el-diario-190419-164805

https://www.lesinrocks.com/cheek/gender-editors-medias-francais-sexisme-308549-22-01-2021/

https://blogs.mediapart.fr/lenaig-bredoux/blog/021220/responsable-editoriale-aux-questions-de-genre-ca-sert-quoi

Projets éditoriaux pour réfléchir au traitement des questions de genre dans les medias

Le projet Les mots tuent de Sophie Gourion : une compilation d’articles pour dénoncer le traitement journalistique des violences faites aux femmes :
https://lesmotstuent.tumblr.com/

Le livre blanc « All things being equal » de Claudia Vaccarone: un rapport complet sur les moyens à déployer pour mettre en place l’égalité des genres dans les medias, avec des cas pratiques : https://www.ebu.ch/files/live/sites/ebu/files/Publications/Reports/login_only/EBU-Gender_Equality_Guidelines.pdf

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