Iel ou ne pas iel : la question du pronom neutre

Vous avez peut-être déjà lu ou entendu les mots « iel » ou « iels » : ces pronoms commencent à être employés en France avec une valeur « neutre », c’est à dire que le pronom peut désigner une personne indépendamment de son genre. Cet usage fait grincer des dents : les sceptiques y voient un effet de mode qui ne perdurera pas, les plus critiques peuvent même aller jusqu’à avertir du péril que ces nouveaux usages font planer sur la langue française. Mais c’est quoi au juste le genre neutre? Quel intérêt a-t-on à l’utiliser? Comment ça se passe dans les autres langues? Quelles sont les alternatives neutres qui existent pour encourager des pratiques langagières plus inclusives? On fait le point.

Petit rappel avant de commencer : c’est quoi un mot neutre?

50 nuances de neutre, d’épicènes, de mixtes et de masculin générique

Différence entre le neutre et l’épicène

Le neutre est un genre grammatical, comme le féminin et le masculin. En français, il n’y a pas de genre neutre pour les noms, qui sont soit féminins, soit masculins : on met toujours « le » ou « la » devant un nom, contrairement à l’anglais par exemple, où on emploie « the » peu importe le nom qui suit.

Par contre, un même nom ou adjectif peut désigner un homme ou une femme sans variation orthographique : on parle alors de termes épicènes. La forme de ces mots reste la même, peu importe le genre de la personne qu’ils désignent : agile, riche, photographe, ancêtre… ces mots s’orthographieront et se prononceront de la même manière, qu’on parle d’une femme ou d’un homme.

Différence entre le neutre et le mixte

Avant d’être un genre grammatical, la notion de neutre vient enrichir notre vision du genre tout court :

« En termes psychologiques, la notion de neutre peut vouloir dire soit que la personne à laquelle on fait référence est androgyne, c’est-à-dire qu’il nous est impossible de lui assigner un genre, ou simplement qu’elle ne s’identifie ni au genre féminin ni au genre masculin. Dans notre société où le genre est bien souvent considéré comme binaire, il est en fait extrêmement difficile d’avoir une lecture neutre du genre. »

Pascal Gygax, Sandrine Zufferey, Ute Gabriel, « Le cerveau pense-t-il au masculin? » Editions Le Robert

Il est donc difficile pour notre cerveau de percevoir le neutre. Une autre notion vient en renfort pour nous faciliter la compréhension : le sens mixte. Les tournures mixtes sont par exemple utiles pour parler de groupe de personnes composés à la fois d’hommes et de femmes.

La différence entre le mixte et le neutre est finalement assez simple : le neutre ne désigne aucun genre, alors que le mixte les désigne tous

Le masculin générique, neutre et mixte par défaut

Pour les pronoms, c’est à dire les petits mots qu’on utilise à la place d’un nom pour désigner des personnes ou des choses, on a quelques épicènes en français, dont certains qui peuvent avoir un sens mixte : nous, vous, on, soi… Mais « il » et « elle » ne le sont pas. Du coup, lorsqu’on veut désigner une personne indépendamment de son genre (parce qu’on ne le connaît pas ou simplement parce que cela n’est pas pertinent), on utilise le « il » par défaut : cela s’appelle le « masculin générique » et c’est une règle qui est entrée en application au XVIIème siècle (les raisons en sont davantage politiques que linguistiques, mais c’est un sujet qui à lui seul pourrait faire l’objet d’un autre article!).

Le masculin générique, en jouant un rôle mixte ou neutre, est polysémique. C’est-à-dire qu’il peut-être interprété par le cerveau de plusieurs manières en fonction des contextes. Il peut soit désigner :

  • uniquement des personnes de genre masculin
  • un groupe mixte

Pour résumer

  • pas de neutre en français,
  • la nécessité d’employer des termes qui tiennent compte de la mixité dans nos énoncés,
  • des solutions par défaut pas toujours claires pour notre cerveau.

Quel est l’intérêt d’utiliser des formes neutres?

Pour rendre la langue plus simple et plus claire

L’emploi du masculin générique est difficile à interpréter comme « neutre » ou « mixte »pour notre cerveau : sa polysémie génère des ambiguïtés qu’il faut démêler pour pouvoir comprendre ce qui est dit ou écrit. Cet extrait du livre « Le cerveau pense-t-il au masculin? » explique bien le mécanisme :

« L’utilisation du masculin comme valeur grammaticale par défaut attire notre attention vers cette forme grammaticale particulière, que notre cerveau peine à comprendre comme autre chose qu’une référence aux hommes. En effet, la forme grammaticale – lorsqu’elle se réfère à des êtres animés-, active de manière automatique et très rapide les connexions neuronales associées aux hommes […]. Le message principal qui ressort de l’ensemble des recherches scientifiques que nous avons présentées dans ce livre se résume ainsi : l’idée selon laquelle la forme masculine pourrait prendre une valeur neutre est tout simplement incompatible avec la manière dont notre cerveau fonctionne. »

Pascal Gygax, Sandrine Zufferey, Ute Gabriel, « Le cerveau pense-t-il au masculin? » Editions Le Robert, p154

En fait, quand on utilise un pronom masculin avec une valeur générique par défaut (c’est-à-dire pour désigner soit une femme soit un homme), on impose un effort de compréhension à notre cerveau. Comme dans cet exemple tiré du site officiel de l’administration française :

Vous êtes vous représenté une personne en lisant ce texte? Etait-ce une femme ou un homme? En tant que masculin générique, le « il » devrait avoir une valeur neutre, mais il est fort probable que vous ayez imaginé une personne de sexe masculin à la lecture de ce contenu. Source : https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F102

Utiliser des termes neutres ou à défaut, épicènes, doit donc faciliter le travail de compréhension pour notre cerveau en éliminant les ambiguïtés de certains énoncés. Mais il y a un autre intérêt à privilégier des termes neutres.

Pour véhiculer moins de stéréotypes

On l’a vu, notre cerveau a tendance à associer le masculin générique aux hommes. Ce mécanisme se crée tôt dans la vie :

« A l’heure actuelle, les études de psychologie expérimentale sur l’interprétation du masculin indiquent qu’une interprétation générique semble très difficile à adopter pour notre cerveau. Les modèles les plus récents pour expliquer cette difficulté portent principalement sur la force d’association entre la forme grammaticale masculine et son sens spécifique, qui empêcherait notre cerveau d’envisager une autre interprétation. Une étude de 2019 […] montre d’ailleurs que l’association masculin = homme commence à paraître chez les enfants vers l’âge de 3 ans et que cette association est plus rapidement enracinée chez les filles. Pour expliquer cela, il suffit de comprendre que nous parlons aux filles en utilisant le féminin. Par effet de contraste, le masculin représente donc pour elle l’autre, à savoir les garçons ou les hommes ».

Pascal Gygax, Sandrine Zufferey, Ute Gabriel, « Le cerveau pense-t-il au masculin? » Editions Le Robert, p97

Ces mécanismes de langage liés à l’utilisation du masculin générique peuvent conduire à renforcer certains stéréotypes. Résultats : vous souhaitez vous adresser à des femmes et à des hommes, mais à la lecture, les femmes se sentent moins concernées par votre contenu.

Cela se passe avec les pronoms, mais aussi par extension, avec les noms. L’exemple des noms de métier est très parlant pour comprendre comment le langage contribue à renforcer certains stéréotypes. Prenons l’exemple d’une annonce de recrutement : vous voulez recruter une directrice ou un directeur, et formulez votre annonce au masculin générique (métier au masculin, liste des missions avec un pronom masculin). L’énoncé de votre annonce rendra plus difficile d’envisager une femme à ce poste, et cela est prouvé par plusieurs travaux de recherches :

« Lorsque des descriptifs de professions n’utilisent que des pronoms masculins, les femmes sont évaluées et s’évaluent comme moins compétentes que les hommes […]. Une étude classique en la matière est celle de Bem et Bem (1973). Dans cette étude, les auteurs montrent que des femmes sont moins enclines à répondre à une annonce de recrutement lorsque celle-ci n’utilise que le pronom masculin non marqué « his » pour faire référence au meilleur candidat possible. Les candidates perçoivent alors que le recruteur recherche de préférence un homme et évitent de répondre à ce type d’annonce »

Impact de la féminisation lexicale des professions sur l’auto-efficacité des élèves : une remise en cause de l’universalisme masculin ?
A. Chatard, D. Martinot https://www.persee.fr/doc/psy_0003-5033_2005_num_105_2_29694#:~:text=Chatard%20Armand%2C%20Guimont%20Serge%2C%20Martinot,In%3A%20L’ann%C3%A9e%20psychologique.

C’est précisément ce que l’on cherche à éviter en utilisant des énoncés neutres ou mixtes.

Nuance ici : employer un langage inclusif ne règlera pas les inégalités entre les femmes et les hommes. En revanche, en adoptant des réflexes inclusifs, on peut contribuer à véhiculer moins de stéréotypes dans son langage, et à faire passer ses messages au plus grand nombre.


Pour résumer : Un pronom neutre… pourquoi en a-t-on besoin?

  • Simplification : l’emploi du neutre réduit les ambiguïtés de lecture de certains énoncés (et les stéréotypes qui lui sont liés).
  • Inclusion : le neutre (ou le mixte) permettent de contourner le masculin générique et de s’adresser à une cible plus large :
    – il permet aux personnes qui ne s’identifient pas au genre féminin ou masculin de pouvoir se nommer et s’identifier.
    – il permet aux femmes de prêter plus d’attention à votre contenu.

Les langues qui ont incorporé de nouveaux pronoms dans leurs usages

Le « they » singulier anglais

Un neutre générique à la place du masculin générique

Si on connait bien le pronom pluriel « they » en anglais, on sait moins qu’il s’emploie aussi à la 3e personne du singulier avec une valeur neutre, en alternative à « he » et « she », pour désigner une personne sans mentionner son genre. On l’utilise quand on ne connaît pas le genre de la personne qu’on désigne, ou simplement quand cela n’a aucun intérêt de le mentionner.

Pour s’y retrouver : un tableau des pronoms anglais, où l’on voit bien le rôle polyvalent du pronom « they »
Source : https://web.stanford.edu/~eckert/Courses/l1562018/Readings/Bodine1970

L’histoire de ce pronom est intéressante : il est apparu en anglais au XIVè siècle, a été utilisé à l’oral et dans la littérature (chez William Shakespeare et Jane Austen, entre autres), puis est progressivement tombé en désuétude au profit du « he » générique, recommandé par les grammairiens de l’époque.

Il réapparaît dans les usages dans les années 80 et les anglophones se le réapproprient largement grâce à sa facilité d’usage : le they est beaucoup plus simple quand on veut employer un pronom à la 3e personne sans faire de référence à du féminin ou du masculin spécifiquement. Il refait finalement son entrée dans un dictionnaire en 2019 : en 40 ans, le terme a été ré-adopté tellement massivement que les dictionnaires se sont alignés sur l’usage … et que le « he » n’est aujourd’hui plus employé à cet effet!

Outre sa facilité de compréhension, il permet aussi aux personnes appartenant à une minorité de genre de pouvoir s’identifier. Instagram a d’ailleurs ajouté en mai 2021 la possibilité d’utiliser les pronoms de son choix pour personnaliser son profil, et « they » en fait partie (et Linkedin lui a emboîté le pas durant l’été):

Instagram annonce dans ce tweet la possibilité d’associer jusqu’à 4 pronoms à la biographie de son profil (voir photo ci-dessous). Linkedin lui a emboité le pas cet été.
Image

Le « hen » suédois

L’apparition et l’adoption d’un tout nouveau pronom neutre à l’échelle d’une langue

La langue suédoise possédait déjà des pronoms neutres à la 3e personne pour désigner des concepts abstraits ou des choses. Dans les années 60, des linguistes proposent de s’inspirer du finnois en ajoutant un pronom neutre de 3e personne, « hen », à côté des pronoms féminins et masculins « han » et « hon ». Comme le they anglais, le pronom peut s’utiliser dans 2 situations :

  • pour simplifier son discours quand on ne connait pas le genre de la personne que l’on décrit, ou quand il est inutile de mentionner le genre
  • pour inclure dans son discours les personnes qui s’identifient en dehors des genres féminins et masculins (non-binaires)
Couverture du livre pour enfant Kivi & Monsterhund (Hensagor) - Jesper Lundqvist, Emili  Svensson, Bettina Johansson
« Kivi & Monsterhund » de Bettina Johansson et Jesper Lundqvist

Les décennies passent et la proposition nage un peu dans les eaux de l’oubli… jusqu’à ce que les communautés LGBTQIA+ commencent à l’employer dans les années 2000. Il faut attendre les années 2010 pour que la proposition dépasse les cercles linguistiques et militants et entre dans l’usage, notamment grâce à la publication d’un livre pour enfants, « Kivi & Monsterhund ».

Dans ce livre, le personnage principal, « Kivi », est désigné avec le pronom neutre « hen« . A sa sortie, ce choix de pronom alimente les débats et les ventes, et apparaît comme une étape importante de l’adoption du pronom hen par la population suédoise. En 2015, « hen » entre « officiellement » dans la langue après avoir été validé par le Språkrådet, le Conseil des langues de Suède.

Le livre n’est malheureusement pas traduit dans notre langue, mais il serait intéressant de voir comment ce pronom neutre serait retranscrit en français si c’était le cas!

Là où ça devient intéressant pour nous, c’est que l’adoption de ce pronom a été documentée par une équipe de recherche dirigée par Marie Gustafsson Senden, du département de psychologie de l’université de Stockholm entre 2012 et 2015 : ces travaux de recherche récents sont très précieux pour observer comment évolue une langue, car le cas suédois est pour le moment unique. Le protocole de l’étude était simple : interroger des personnes dans la rue pour leur demander leur opinion sur le pronom « hen » (686 personnes interrogées entre 2012 et 2015). D’autres questions étaient posées pour dresser un profil des personnes et analyser les facteurs pouvant interférer dans les résultats ( sexe, âge, mais aussi orientation politique et position vis à vis du sexisme par exemple). Si en 2012, la cote de popularité du pronom était plutôt basse, il n’aura fallu que 3 ans pour que cette cote augmente significativement et que le rapport s’inverse :

Tableau récapitulatif de l'attitude des personnes à l'égard du pronom "hen" suédois. Données issue de l'enquête de Marie Gustafsson Senden
En rouge, le nombre de personnes interrogées dont l’attitude est négative à l’égard du pronom. En vert, celles qui reçoivent le pronom de manière positive. A noter : plus les personnes connaissent le pronom depuis longtemps, plus leur attitude est positive à son égard

L’adoption récente de ce nouveau pronom dans la langue suédoise peut nous servir de laboratoire à ciel ouvert : que se passe-t-il si l’on intègre un nouveau pronom neutre dans une langue (ou par extension, un nouveau mot qui vise à rendre le langage plus inclusif) ? Ce qu’on constate avec cette étude, et que vous avez peut-être observé dans la vie de tous les jours, c’est que lorsqu’une nouvelle pratique langagière fait son apparition, il faut souvent plusieurs années voire plusieurs décennies pour qu’elle soit adoptée par le plus grand nombre. Un pronom ou plus largement un usage qui ne nous est pas familier (ou pour faire un parallèle avec la France, l’utilisation du point médian ou la re-féminisation des noms de métier par exemple) peut tout d’abord provoquer de la résistance voire de l’hostilité, ce qui est compréhensible puisqu’il nous fait changer nos habitudes. Cependant l’étude montre qu’il a fallu moins de 4 ans pour que le pronom soit perçu de manière positive par la majorité des personnes interrogées en Suède.

De l’adhésion à l’adoption, il reste encore un pas pas à franchir en Suède. Les résultats de la recherche montrent que malgré une attitude de plus en plus positive à l’égard du pronom, le nombre de personnes qui l’utilisent de manière régulière n’a pas (encore) augmenté. Rendez-vous dans quelques années pour faire le point!


Pour résumer

  • C’est l’usage qui façonne une langue : ce n’est pas parce qu’un mot ne figure pas dans les dictionnaires qu’il n’est pas valable!
  • Cas anglais : un pronom supprimé par les grammairiens qui reprend sa place dans les usages puis est ré-adopté par les dictionnaires
  • Cas suédois : lorsqu’un nouveau mot entre dans une langue, il y a d’abord une phase d’adoption (hostilité à l’égard du mot nouveau), puis une phase d’utilisation, plus longue

Et en France?

Iel, créativité et militantisme

En France, aucun pronom neutre n’est encore entré « officiellement » dans la langue. Pourtant, un pronom neutre semble progressivement trouver sa place dans les usages depuis plusieurs années maintenant : iel /iels.

Iel n’est pas le seul pronom neutre à être proposé. Nombreuses sont les personnes qui s’interrogent à ce sujet et qui testent. Voici un autre exemple:

  • le pronom « ul », comme répertorié sur « Genre! », un site d’information autour des identités trans qui a consacré un article de blog à la question du pronom neutre. A noter que ce pronom a été proposé dans l’ouvrage de Katy Barasc et Michèle Causse Requiem pour il et elle (2014) pour les raisons suivantes :

UL est le premier don d’un pronom que ne vicie aucune hiérarchie ni exclusion.
UL en a fini avec son identité dite sexuelle, quelle que soit son existence passée dans une société structurée selon le genre.
UL est générique mais non genré. UL n’est pas neutre.

Extrait de « Requiem pour il et elle de Katy Barasc et Michèle Causse, https://entreleslignesentrelesmots.blog/2014/10/24/extrait-n-2-de-louvrage-de-katy-barasc-michele-causse-requiem-pour-il-et-elle-editions-ixe-2014/
Notre usage crée les règles

Si ces propositions peuvent paraître fantaisistes voire incongrues au premier abord, elles témoignent aussi d’un enthousiasme à s’approprier la langue. Nous avons la possibilité de la faire évoluer avec nos usages, pour que la langue qu’on parle et qu’on écrit reflète toute la richesse de la société dans laquelle on vit.

Vos mots ont le pouvoir de toucher une audience plus large et de véhiculer des valeurs de modernité, d’enthousiasme et de créativité… et vous font contribuer, à votre échelle, au changement des usages! D’où l’intérêt de s’interroger sur les termes lorsqu’il s’agit de s’adresser à votre public.

Revenons à la question qui reste au centre de tout travail d’écriture : celle de la facilité de lecture et de compréhension des informations qu’on veut transmettre. Si on veut réduire les ambiguités et reposer le cerveau de notre lectorat, on a donc tout intérêt à faire entrer un pronom neutre dans l’usage! Evidemment, les premières fois qu’on rencontre ce pronom nécessitent un effort de lecture, mais une fois que le pronom est intégré, l’effort de compréhension à fournir sera moindre du côté des lectrices et des lecteurs.

Le doublon pour faciliter la compréhension

Si vous ne souhaitez pas utiliser de pronom neutre dans votre communication, une autre technique d’écriture inclusive pourra vous être utile : le doublet ou doublon. Le principe est simple : vous utilisez le pronom au masculin et au féminin si vous vous adressez à un groupe mixte.
Cette technique, en plus d’être très lisible, a un avantage : une représentation équitable des genres dans le langage. C’est par exemple ce que préconise Eliane Viennot, pas seulement pour les pronoms, mais pour l’ensemble des discours :

Avant de neutraliser les genres dans un pronom commun, il faut rendre les femmes visibles dans la langue estime d’ailleurs l’historienne Eliane Viennot, auteure de Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin : il faut féminiser les fonctions, écrire il/elle, ajouter des «-e» au bout des mots, accorder les adjectifs au membres majoritaires d’un groupe (un garçon et dix filles ne doivent pas pouvoir être «beaux» sous prétexte que le masculin l’emporte). Pour Eliane Viennot: «Pour faire reculer la masculinisation de notre langue, [la priorité est] effectivement d’insister sur la différence des sexes. L’indifférence viendra plus tard.»

https://www.liberation.fr/societe/2015/04/20/hen-pronom-en-suedois-designe-indifferemment-un-homme-ou-une-femme_1253933
Accords de proximité et de majorité

Vous pouvez changer l’ordre du doublon en fonction de l’importance des personnes désignées dans votre énoncé. Pour les accords, vous pouvez contourner le masculin générique en utilisant l’accord de proximité et l’accord de majorité : on accorde tout ce qui suit le pronom en fonction du nom le plus proche, ou du sexe majoritaire dans l’énoncé. Pour la petite histoire, ce sont des règles qui sont existent depuis plusieurs siècles et qu’on utilise parfois même insconsciemment, comme l’explique Laélia Véron dans cette video pedagogique:

Le féminin générique

Une 3e solution existe lorsqu’on s’adresse à un public majoritairement féminin : utiliser le féminin générique, c’est à dire mettre tous les pronoms au féminin, et accorder en conséquence.


Pour résumer : quels pronoms utiliser en français pour contourner le masculin générique?

  • Le pronom iel : même faire appel à sa créativité pour former de nouveaux pronoms pour communiquer. Si vous choisissez cette option, à l’oral comme à l’écrit, prenez le temps d’expliquer votre démarche.
  • Utiliser les pronoms par lesquels les personnes à qui vous vous adressez souhaitent se désigner, même s’ils ne sont pas encore entrés officiellement dans la langue française.
  • Le doublon « elle et il » : cette solution, moins créative, est plus lisible. Cependant, elle ne tient cependant pas compte des minorités de genre. Si vous choisissez cette solution pour vos supports de communication, vous pouvez utiliser en complément les accords de proximité et de majorité, qui vous permettront de contourner le masculin générique.
  • Le féminin générique « elle » : lorsqu’on s’adresse en majorité à des femmes.

Des autrices expérimentent

Pour finir sur une touche littéraire et ouvrir le champ de la réflexion, je vous propose 2 romans qui explorent la question du genre par leur approche stylistique originale. Ces ouvrages sont passionnants à parcourir : on peut les lire en se posant des questions sur la manière dont notre cerveau réagit lorsqu’on n’utilise pas le masculin générique. C’est aussi l’occasion de puiser de l’inspiration pour nos usages personnels!

L’Opoponax de Monique Wittig
Couverture du livre L'Opoponax de Wittig Monique

La militante et romancière Monique Wittig a exploré le champ sémantique du genre dans ses oeuvres. Dans son premier roman, L’opoponax (1964) elle écrit à la 3e personne en utilisant le pronom « ‘on ».

« Avec ce pronom qui n’a ni genre ni nombre je pouvais situer les caractères du roman en dehors de la division sociale des sexes et l’annuler pendant la durée du livre. « , explique Monique Wittig dans la revue Le Chantier littéraire.

Sphinx d’Anne Garreta : la contrainte de Turing

Anne Garretta, première membre féminine du mouvement de l’Oulipo, a utilisé la contrainte de Turing dans son roman Sphinx, qui raconte la rencontre amoureuse de 2 personnes. La contrainte de Turing, c’est écrire sans aucune marque du genre. Le résultat : on lit sans connaître le sexe des personnages, qui n’est jamais écrit explicitement. Le résultat est intéressant :

« D’abord les gens ne remarquent pas l’absence des marques du genre. Ils les projettent systématiquement, comme si pour lire une histoire, en effet, il leur était nécessaire d’attribuer une identité sexuelle aux personnages […]. Second résultat : il n’y a pas d’uniformité dans les projections, les lecteurs n’ont pas tous lu la même histoire mais les quatre possibilités ont été systématiquement représentées dans la réception critique du livre […]. C’est ça le jeu dangereux. Faire la preuve empirique, expérimentale, non seulement de la contingence du genre, mais de son inanité ou de son insignifiance comme catégorie. »  « 

Eva Domeneghini, Entretien avec Anne F. Garréta, http://www.revue-critique-de-fixxion-francaise-contemporaine.org/rcffc/article/view/fx12.11/Entretien%20avec%20Anne%20F.%20Garr%C3%A9ta

Pour aller plus loin

Une sélection de ressources qui m’ont permis d’écrire cet article et qui vous permettront de creuser la question.

Sur la question du neutre :

Un article très complet de Daniel Elmiger (Université de Genève) sur le statut du genre neutre en français contemporain, avec des propositions de neutralisation :
http://errancesenlinguistique.fr/02-Journal/20/2015-06-29-GENRE-ImplicationsPhilosophiques.pdf

Une étude incontournable (menée par 13 personnes dans différentes universités!) pour comprendre le rôle du langage dans le renforcement des stéréotypes liés aux noms de métier :
https://www.researchgate.net/publication/258104029_Norms_on_the_gender_perception_of_role_nouns_in_Czech_English_French_German_Italian_Norwegian_and_Slovak

Un article pour comprendre l’impact de la féminisation lexicale des professions sur l’auto-efficacité des élèves, par A. Chatard, S. Guimont et D. Martinot :
https://www.persee.fr/doc/psy_0003-5033_2005_num_105_2_29694#:~:text=Chatard%20Armand%2C%20Guimont%20Serge%2C%20Martinot,In%3A%20L’ann%C3%A9e%20psychologique.

Sur le pronom neutre « they » :

En agnlais : « Androcentrism in Prescriptive Grammar: Singular ‘They’, Sex Indefinite ‘He’, and ‘He or She’  » par Ann Bodine:
https://web.stanford.edu/~eckert/Courses/l1562018/Readings/Bodine1970

Un article d’actu sur l’entrée dans le dictionnaire du pronom « they » : http://www.slate.fr/story/181860/etats-unis-genre-anglais-pronom-non-binaire-they-dictionnaire-merriam-webster

En anglais : « A brief history of singular they » par Dennis Baron :
https://public.oed.com/blog/a-brief-history-of-singular-they/

Sur le pronom neutre « hen » :

L’article qui présente les résultats de l’enquête sur l’adoption du pronom Hen en Suède (source graphique d’illustration de mon article) : https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2015.00893/full

Un article de presse qui résume l’historique du pronom hen : https://www.liberation.fr/societe/2015/04/20/hen-pronom-en-suedois-designe-indifferemment-un-homme-ou-une-femme_1253933/

Réflexions et créations autour du pronom neutre en français

Un article pour comprendre l’intérêt des pronoms neutres pour les minorités de genre :
https://entousgenresblog.wordpress.com/2017/04/19/quels-pronoms-neutres-en-francais-et-comment-les-utiliser/

Livre :

Incontournable ludique et très accessible pour comprendre les mécanismes cérébraux liés aux genre (avec un prime une bibliographie très costaude si vous voulez creuser le sujet) :

Le cerveau pense-t-il au masculin ?

Le cerveau pense-t-il au masculin? Par Pascal Gygax, Ute Gabriel et Sandrine Zufferey

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